L’appareil psychique sous l’angle de la temporalité : Les modèles « topographique » et « structural » de l’appareil psychique proposés successivement par Freud reposent tous deux sur des métaphores spatiales que l’inventeur de la psychanalyse a toujours pris soin de mentionner comme des « fictions » à valeur heuristique mais n’ayant pas de correspondant neuro-anatomique précis. Freud était en effet partisan d’une conception que nous dirions aujourd’hui « distribuée » plutôt que « localisationniste » du fonctionnement cérébral, dans lequel il a par ailleurs toujours vu la base physiologique de la vie psychique. Les métaphores spatiales montrent cependant leurs limites, étant donné par exemple leur faible capacité de rendre compte de phénomènes psychiques difficiles à représenter sur le mode de la figuration (automatisme de répétition, agirs hors représentation, etc. ). Déjà dans les deux modèles freudiens, les frontières entre les lieux psychiques sont apparues toujours plus floues quand il s’est agi de préciser la « localisation » d’activités psychiques même courantes : ainsi, dans quel lieu —et que signifie exactement— « localiser » les fantasmes, les idéaux, les croyances, l’activité onirique? La théorie même du refoulement a souffert d’une référence spatiale nulle part repérable, alors qu’il peut se concevoir, dans une version moins naïve, comme perte de la référence au temps auto-biographique, perte dont le mécanisme reste à élucider. Il nous semble par conséquent indiqué, voire nécessaire, de réexaminer la vie psychique à travers la dimension temporelle —effective— plutôt que par la spatialisation —métaphorique— des événements mentaux.

Freud avait en son temps déjà noté qu’une distinction des activités psychiques selon leur rapport au temps était en elle-même suffisante pour rendre compte du clivage conscient/inconscient. Toutefois, il n’a jamais poussé cette intuition jusqu’à développer un modèle temporel de la psyché, malgré les nombreuses indications données ici et là à travers son œuvre. Mon projet consiste à tenter de formuler une conception du fonctionnement psychique essentiellement sous l’angle de la dimension du temps, en vérifiant pas à pas les avantages pratiques et heuristiques d’une telle conception dans l’expérience clinique de la psychanalyse, dans la compréhension de la psychopathologie et en rapport avec les développements actuels dans le champ des neurosciences et de la philosophie de l’esprit.